Iryna:histoired’unemédecintémoindumassacredeBoutcha
Je m’appelle Iryna. Je suis généraliste et j’ai passé plus de 2 semaines dans la ville de Boutcha occupée. Comme j’étais le seul médecin aux environs à l’époque, ma maison s’est pratiquement transformée en un hôpital improvisé.


Le 27 février, l’armée ukrainienne avait stoppé un convoi de chars russes dans la rue Vokzalna à Boutcha pour l’empêcher de s’approcher d’Irpin et puis de Kyiv. Quelques jours plus tard, Boutcha a été occupée par la Russie. La panique s’est emparée de la population. Beaucoup ont essayé de s’enfuir et ont été assassinés par des envahisseurs qui s’en fichaient, même si de nombreuses voitures portaient un panneau ENFANTS.
Sous peu, les gens ont appris que j’étais le seul médecin restant et ont commencé à me rendre visite avec leurs problèmes de santé. J’ai rassemblé un sac de médicaments de base. Tout le reste, je l’ai transmis à l’armée ukrainienne par l’intermédiaire de mes amis, en supposant qu’ils en avaient plus besoin. Qui aurait cru alors que nous aussi aurions besoin de bandages, d’analgésiques, d’antibiotiques … Nous avions tellement tort.


Quelques jours seulement se sont écoulés lorsque j’ai reçu un premier appel de mes voisins qui avaient deux blessés. Une voiture avec des enfants avait été bombardée quand ils franchissaient un poste de contrôle russe pour fuir Boutcha. Ils ont réussi à prendre notre rue pour sauver leur vie. La femme avait une balle dans la cheville, et son enfant dans la cuisse.
La petite fille n’arrivait pas à cesser de pleurer et j’ai dû lui donner des analgésiques et lui mettre un pansement. Mais je n’avais pas de médicament nécessaire pour l’enfant, alors j’ai couru chez les voisins pour essayer de trouver ce dont j’avais besoin. Lorsque je suis revenue, elles étaient déjà parties pour essayer de rejoindre Kyiv à pied. Je ne sais rien de ce qui leur est arrivé par la suite…
Qelques jours plus tard, j’ai eu une femme enceinte. Elle en était à sa 40e semaine. À l’institut, je rêvais de devenir gynécologue, mais je n’avais aucunes compétences pratiques. « Quoi qu’il arrive. On va mettre le bébé au monde », ai-je dit en essayant de rayonner la certitude.


À 4 heures du matin, le 8 mars, elle a perdu les eaux. À ce moment-là, nous n’avions pas d’électricité, pas de gaz, pas de chauffage, ni d’eau dans la maison. Je devais tout faire aux bougies allumées. Nous nous sommes procurés de l’eau, mais elle était froide et nous n’avions aucun moyen de la réchauffer. Et le bébé, comme s’il le savait, est né propre et soigné. Nous avons juste utilisé une serviette pour la sécher et l’avons ensuite enveloppée. On l’a appelée Alice.
Le lendemain, nous avons décidé d’essayer de quitter la ville. Nous avons pris la voiture. Mon mari, moi, quatre enfants, dont une fille de mes voisins, un chien et un chat. On nous a dit de porter des rubans blancs sur nos bras et de placer un panneau ENFANTS sur notre voiture. C’était un véritable cauchemar. Tous ces cadavres que le monde verrait plus tard, ils étaient ici même alors.


Nous avons dû passer plusieurs postes de contrôle russes. Nous avons effacé tout le contenu de nos smartphones. S’ils trouvaient une photo ou quelque chose, certainement, ils nous fusilleraient sans délai. Ces 40 km pour lesquels nous avons mis 8 heures de parcours nous ont semblé une éternité. Nous priions tout le temps.
Comme on me l’a dit, le 13 mars les Russes ont transformé notre maison en leur état-major. Quel soulagement que nous ayons réussi à partir avant leur arrivée.
Le 31 mars, les Russes se sont retirés et Boutcha a été libérée.
Dans l’espace de quelques jours, le monde a enfin vu les atrocités et les crimes de guerre qu’ils ont laissés derrière eux.
C’EST UN RÉCIT DE SURVIE. MAIS DES MILLIERS D’UKRAINIENS NE POURRONT PAS RACONTER LEURS HISTOIRES – LES RUSSES LES ONT TUÉS. RÉPANDEZ LA VÉRITÉ. AIDEZ-NOUS À TRADUIRE LA RUSSIE EN JUSTICE POUR AVOIR COMMIS DES CRIMES DE GUERRE.
*Toutes les histoires sont réelles et proviennent d’entretiens, de récits, d’enregistrements et de blogs personnels.
Le récit original en UA est ici.