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Projet Behind Blue Eyes : Les rêves et la créativité des enfants sur fond de guerre

L’invasion à grande échelle menée par la Russie a contraint des milliers d’enfants ukrainiens à fuir leurs maisons, à survivre à l’occupation et à passer leurs années d’enfance à proximité de la ligne de front. De quoi rêvent-ils ?

Cela fait presque deux ans que le projet caritatif Behind Blue Eyes rend visite aux enfants sur la ligne de front et dans les villages libérés en Ukraine, en leur offrant des appareils photo jetables et en exauçant leurs souhaits. L’idée de ce projet est de soutenir la capacité des enfants à rêver, malgré l’expérience traumatisante de la guerre, et de montrer que la créativité peut être un outil puissant pour réaliser ces rêves.

Lors de la récente expédition, 53 enfants du sud de l’Ukraine ont participé au projet et ont pris somme toute plus de 1000 photos sur pellicule. Sur ces photos, on retrouve à la fois la vie quotidienne et les traces de l’invasion militaire.

Voici ce que les enfants des villes de la ligne de front en Ukraine voient à travers l’objectif d’un appareil photo, et ce dont ils rêvent.

Bohdan, 12 ans,

Balabyné, région de Zaporijjia

La famille de Bohdan s’est installée à Balabyné juste avant l’invasion à grande échelle. Ils ont commencé à construire leur propre maison, mais ils n’ont pas eu le temps de l’achever avant l’attaque de la Russe. Néanmoins, leur maison est devenue un abri pour de nombreuses personnes déplacées depuis Marioupol et d’autres villes occupées. Bohdan se souvient qu’une fois, ils ont pu héberger huit personnes simultanément. 

Avant la guerre, le père de Bohdan avait sa propre affaire, mais il l’a quittée pour s’engager dans les Forces armées, comme d’autres hommes de la famille. Malgré cela, ils restent en contact. De temps en temps, le père amène du front des animaux abandonnés et, avec Bohdan, ils cherchent une nouvelle famille pour ces animaux. Selon le garçon, sa famille est la plus belle chose qu’il ait jamais vue.

Photo prise par Bohdan
Photo prise par Bohdan pour le projet

En imaginant son avenir, il se voit assis sur le canapé en train de raconter la guerre à ses petits-enfants

L’histoire est la matière préférée de Bohdan à l’école et sa plus grande passion. Il connaît très bien l’histoire des armes, leur date d’invention et l’usage qu’on en faisait. À l’occasion, il montre son gilet pare-balles, son casque et le tube d’un lance-roquettes antichar RPG-18 Fly usagé que son parrain, qui sert lui aussi dans les Forces armées, lui a apporté.

Photo prise par Bohdan pour le projet
Photo prise par Bohdan pour le projet

L’équipe de Behind Blue Eyes a offert à Bohdan des jumelles professionnelles en complément de sa collection d’équipement.

Lorsqu’on lui demande quel superpouvoir il aimerait avoir, Bohdan répond que c’est la superintelligence. Quant à ses rêves, la fin de la guerre est sa première réponse.

Ania, 13 ans,

Bobrovyi Kout, région de Kherson

L’invasion à grande échelle a déjà contraint la famille d’Ania à déménager deux fois. La première fois, ils ont quitté Kherson pour s’installer dans un chalet d’été près de la ville, car il devenait très dangereux de rester chez eux à cause des bombardements incessants. Le deuxième déménagement, à Bobrovyi Kout, a eu lieu après que leur maison a été inondée en raison de l’explosion de la centrale hydroélectrique de Kakhovka.

Ania a un frère et une sœur –  Bohdan et Nastia, tous deux également mineurs. Sa mère, Nadiia, dit qu’elle aime vivre dans le village et qu’elle a toujours voulu avoir sa propre maison. La famille vit cependant dans une maison partiellement endommagée par le feu, qui nécessite des réparations constantes, et elle doit s’occuper d’un grand ménage. Bohdan aide généralement ses parents à s’en occuper.

En raison du danger permanent et des bombardements, Ania, Nastia et Bohdan font leurs études scolaires à distance, et il n’y a pas de clubs ou d’autres opportunités de ce type pour les enfants. Ils sont toujours nouveaux arrivés dans le village et ne se sont pas encore fait beaucoup d’amis parmi les habitants, c’est pourquoi ils se serrent les coudes et attachent de l’importance aux relations familiales chaleureuses.

Malgré l’absence de contact direct avec les enseignants, Ania est une bonne élève, au dire de sa mère. C’est le dessin qu’elle aime le plus et les mathématiques qui lui plaisent le moins. Dans sa lettre, Ania a écrit qu’elle aimerait faire un long voyage avec sa famille, avoir des écouteurs, apprendre à conduire une moto, avoir la paix en Ukraine et retourner dans sa ville natale de Kherson.

Pour Ania, la recette du bonheur consiste à avoir de bons amis et à peindre. Elle dit qu’il y a un manque de paix dans le monde.

Behind Blue Eyes a exaucé le souhait d’Ania de recevoir des écouteurs et a remplacé son vieux skateboard par un neuf. De plus, l’équipe a offert à Ania un appareil photo professionnel afin d’encourager son talent pour la photographie. À Bobrovyi Kout, Ania a photographié un chat sur un arbre en plein soleil, un skateboard solitaire sur l’asphalte craquelé et de l’herbe couverte de rosée matinale.

Elle est persuadée qu’il n’est jamais trop tard pour essayer quelque chose de nouveau.

Vanіa, 12 ans,

Prymorské, région de Zaporijjia

Au début de l’invasion à grande échelle, la mère de Vania est décédée dans des circonstances que l’équipe du projet ne connaît pas. Vania raconte que sa mère avait honte de son handicap, une infirmité motrice cérébrale. Auparavant, il ne sortait pas beaucoup dehors ; le garçon a pleuré lorsque son père l’a emmené se promener pour la première fois depuis des années. 

Aujourd’hui, c’est son père et sa sœur aînée qui s’occupent de lui. Ils passent la plupart de leur temps à Zaporijjia, où son père travaille dans une usine et sa sœur aux services de secours. Lorsque la situation dans le village devient plus dangereuse, le garçon est emmené chez son grand-père à Kouchouhoum.

Le village de Prymorské n’est qu’à 15 kilomètres de la ligne de front. Par une journée claire, depuis les cours de Prymorské, on peut voir les canalisations de la ville temporairement occupée d’Enerhodar, de l’autre côté de la rivière. Aujourd’hui, le village n’est accessible qu’avec un laissez-passer, délivré par l’administration militaire régionale.

Ce n’est jamais silencieux à Prymorské : on entend souvent l’artillerie, et il arrive qu’elle frappe le village. Un jour de 2022, un obus a touché la cour où vit Vania, en endommageant l’électricité et les appareils, y compris l’ordinateur de Vania, qui était pour lui un grand réconfort.

Malgré une vie pleine de défis, Vania a un grand sens de l’humour. De plus, il étudie mieux que la plupart de ses camarades de classe. Et surtout, Vania rêve d’apprendre à marcher. 

Dans sa liste de ses rêves, Vania a mentionné un jeu de construction Lego Star Wars, un disque dur 1 To, une souris d’ordinateur sans fil, des marqueurs et des écouteurs – et ils ont tous été réalisés. Après avoir entendu l’histoire de la frappe dans cette cour, l’équipe du projet a également offert à Vania un nouvel ordinateur pour qu’il puisse rester en contact avec le monde et jouer à nouveau à ses jeux préférés, ainsi qu’un vélo d’appartement, que Vania utilise désormais pour s’entraîner.

Masha, 10 ans,
Loukachivka, région de Tchernihiv

Masha et sa famille ont connu l’occupation russe de leur village. Ils ont passé la plupart de leur temps dans la cave, d’abord à cause du danger permanent, puis parce que l’armée russe s’est installée dans leur maison. Masha parle avec regret de ses rongeurs de compagnie qui sont morts alors: seuls les deux sur neuf sont restés en vie. Elle rêve maintenant d’avoir un chinchilla.

Depuis la cour de Masha, on peut voir l’église détruite de Loukachivska, avec une grande concentration d’équipements d’agresseurs à côté.

La maison de Masha n’a pas été endommagée, contrairement à celle de ses grands-parents, où un obus a complètement détruit un atelier. La jeune fille a pris une photo de ce qu’il en restait.

« C’est l’atelier de mon grand-père, il y coupait beaucoup de bois et il y avait de la sciure pour mes hamsters. Aujourd’hui, l’atelier est détruit et je dois demander de la sciure à mon voisin », explique Masha.

Photo prise par Masha

Elle raconte également l’histoire d’une autre de ses photographies, représentant une série d’objets quotidiens. « C’est moi qui « vendais » l’aide humanitaire que vous nous avez apportée. Ma mère a acheté des choux, mon grand-père a acheté un briquet et mon père a acheté des baskets : lorsque les Russes ont fui, ils ont volé toutes les chaussures et mon père est resté pieds nus ».

Photo prise par Masha

L’équipe de Behind Blue Eyes a matérialisé les rêves de Masha en lui offrant un chinchilla et une bicyclette.