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L’Ukraine pendant la Deuxième Guerre mondiale : le Mythe de la Grande Guerre Patriotique

Nous nous souvenons de la Deuxième Guerre mondiale comme d’une guerre qui valait la peine d’être menée. Non seulement le monde était menacé par le régime nazi, mais la sécurité de l’ensemble de la planète était en péril. Le pacte conclu entre les deux plus grandes dictatures, le Troisième Reich et l’Union soviétique, mettait le monde libre en danger. 

C’est ainsi que les pays démocratiques se souviennent de la guerre : un combat contre le mal ultime nécessitant un compromis avec un moindre mal afin de sauver le futur. Toutefois, ni les anciennes républiques soviétiques ni la Russie ne voyaient ce conflit du même œil. D’ailleurs, cette dernière continue de manipuler l’histoire dans laquelle l’Ukraine a joué un rôle essentiel, pourtant négligé par le monde et falsifié par la propagande du Kremlin. 

Le Mythe de la Grande Guerre Patriotique

Alors que le monde démocratique tirait les conclusions des horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, l’Union soviétique racontait une histoire différente, celle de la Grande Guerre patriotique, contredisant le récit mondial et la vérité elle-même. 

« La Grande Guerre patriotique est un concept historiographique et idéologique élaboré par l’URSS et utilisé aujourd’hui par la Fédération de Russie comme une alternative au terme de Deuxième Guerre mondiale, ayant pour objectif de maintenir une influence en Ukraine et dans les autres ex-républiques soviétiques » – lit-on dans le livre « Guerre et mythe : la Seconde Guerre mondiale inconnue »

Ce mythe de la Grande Guerre Patriotique (1941-1945) a peu de rapports factuels avec les événements réels, notamment en ce qui concerne le rôle de l’Ukraine dans la Deuxième Guerre mondiale. Selon la propagande soviétique, la guerre entre l’Allemagne nazie et l’URSS a commencé en 1941. Tandis qu’en réalité, depuis deux ans, l’Ukraine était déjà en guerre. Inventé par Staline et son entourage, ce terme de propagande fut utilisé durant des décennies par son régime. 

Officiers allemands rencontrant leurs homologues soviétiques en Pologne.
Septembre 1939, Photo : Institut ukrainien de la mémoire nationale

L’historien ukrainien Volodymyr Viatrovytch affirme que la victoire de l’Alliance a été possible grâce aux deux fronts, occidental et oriental, et au prêt-bail accordé à l’URSS. Ces faits ne sont pas mentionnés dans le mythe de la Grande Guerre patriotique, où l’Union soviétique est perçue comme l’unique vainqueur. Le pacte Molotov-Ribbentrop, quant à lui, est présenté comme une « contrainte ». L’annexion des pays baltes et les territoires de l’Europe de l’Est est qualifiée de « libération » de ces derniers.

« Les 20, 30, 40 millions de morts reflètent non seulement la contribution de l’URSS à la victoire, mais aussi le peu de valeur que le régime accordait aux vies humaines. Aucun commandant sur le front occidental ne se serait permis une telle attitude vis-à-vis de la vie humaine comme le maréchal Joukov, surnommé maréchal « Viande », dit Viatrovytch

La coopération forcée avec l’URSS s’est poursuivie jusqu’à la capitulation complète de l’Allemagne nazie. D’autres partenariats ont perduré par la suite. Cependant, la dictature soviétique n’avait pas l’intention de changer sa politique tyrannique dans les territoires occupés. Elle a forcé les états et les nations nouvellement « libérés » vers le totalitarisme communiste, en éliminant le moindre signe d’opposition démocratique. Cette situation n’a jamais été résolue et le régime du Kremlin n’a jamais été puni.  Elle a juste progressivement évolué vers la guerre froide.

« De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent », a déclaré Winston Churchill dans son discours révolutionnaire en 1946, qui est considéré comme le début de la guerre froide.

Si dans son discours il a mentionné la plupart des capitales d’Europe de l’Est, Kyiv n’en faisait pas partie. Il serait facile de spéculer sur le mépris de Churchill pour l’Ukraine, mais ses paroles avaient un contexte historique, car Kyiv faisait déjà partie de l’Union soviétique. En outre, ses paroles étaient prophétiques. Le rôle réel de l’Ukraine pendant la Deuxième Guerre mondiale a été réécrit et la plupart de la vérité a été supprimé des livres d’histoire, ne laissant qu’une réalité déformée.

Le ministre du Reich Alfred Rosenberg et le commissaire du Reich Erich Koch inspectant la cathédrale Sainte-Sophie.
Kyiv. Avril 1942. Photo : Institut ukrainien de la mémoire nationale

La situation réelle de l’Ukraine pendant la Deuxième Guerre mondiale

Le rôle de l’Ukraine dans la Deuxième Guerre mondiale a été masqué par des mythes, des mensonges et des propagandes. La plupart des polémiques à ce sujet excluent l’idée principale : L’Ukraine ne combattait pas un, mais deux ennemis à la fois.

Les atrocités du régime stalinien se feront connaitre bien plus tard, après que des millions d’Ukrainiens ont été persécutés et tués. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale est arrivée sur le territoire ukrainien, les gens avaient déjà souffert pendant vingt ans de régime communiste. L’Holodomor de 1932-33, la Renaissance exécutée, la Grande Terreur de 1937-38 ont démontré que le gouvernement soviétique était non seulement criminel, mais aussi déplorable d’un point de vue économique. La moitié des communistes ukrainiens ont abandonné leurs convictions suite à cette sombre période d’oppression. 

La partie occidentale de l’Ukraine, annexée en 1939, était révoltée par ce régime et menait une forte résistance anticommuniste. Il faut noter que le mouvement ne se limitait pas à l’élite opprimée. Les agriculteurs, souffrant des horreurs de la collectivisation, rejetaient, eux aussi, radicalement les Soviets. 

Nous ne pouvons pas comparer l’Europe de l’Est et celle de l’Ouest d’avant-guerre. Les Ukrainiens, comme beaucoup d’autres nations opprimées par la dictature, cherchaient à se libérer. Au début de la guerre, les Ukrainiens se sont divisés en différents fronts : en combattant dans l’Armée rouge, en rejoignant les mouvements nationalistes ou en devenant partisans. Après la terrible occupation nazie, de plus en plus d’Ukrainiens ont rejoint l’Armée rouge, représentant au moins 23 % des effectifs. 

« La tragédie du peuple ukrainien était l’absence de son propre état, et donc sa division entre tous les belligérants de ce conflit… Les petites nations apatrides complètement occupées par les Allemands, comme les Tatars de Crimée, se trouvaient dans une situation particulièrement difficile. La logique de la survie nationale leur dictait de coopérer avec l’envahisseur plutôt que de mener une lutte sans compromis », lit-on dans le livre « Guerre et mythe : la Seconde Guerre mondiale inconnue ».

Les Tatars de Crimée ont été déportés de leur terre natale en 1944 (ce qui est reconnu par l’Ukraine comme le génocide contre les Tatars de Crimée) sous le faux prétexte d’une collaboration massive avec les nazis. Entre-temps, le mouvement de libération ukrainien a été qualifié dans un premier temps de fasciste, puis de nazi. Cette affabulation de la collaboration des Ukrainiens avec les nazis, selon lequel les nationalistes ukrainiens étaient des agents de l’Abwehr et certaines unités militaires faisaient partie de la Wehrmacht et de la Gestapo, peut être considéré comme un prétexte à l’invasion moderne de l’Ukraine par la Russie. Du moins l’une de ses justifications mensongères.

 Déportation des Tatars de Crimée. Source : Suspilne Crimée

En réalité, l’objectif de l’OUN (Organisation des Nationalistes Ukrainiens) était l’indépendance de l’Ukraine. Les convergences avec l’Allemagne répondaient plus à des contraintes situationnelles qu’à des objectifs géopolitiques. Pour obtenir l’indépendance, les forces ukrainiennes devaient vaincre l’Armée rouge à l’est en utilisant les ressources militaires de la Wehrmacht allemande.  

Groupe de partisans dans les Carpates. 1946.
Photo : Institut ukrainien de la mémoire nationale

L’Acte de renouvellement de l’État ukrainien, prononcé par Stepan Bandera en juin 1941, fut une surprise totale pour le Troisième Reich. L’indépendance de l’Ukraine ne faisait pas partie de leurs plans. En conséquence, Bandera fut emprisonné le 5 juillet de la même année. La stratégie visant à utiliser l’affaiblissement du régime soviétique en exploitant les capacités militaires de l’Allemagne n’a pas fonctionné. L’OUN a fini par combattre sur les deux fronts à la fois : l’URSS et l’Allemagne, basculant lentement dans la guérilla et avec un gouvernement en exil. 

Affiche des rebelles. Photo : Institut ukrainien de la mémoire nationale
Pour quoi les rebelles ukrainiens se battent-ils ? 
Pas pour Staline,
Pas pour Souvorov,
Pas pour Hitler, un malade mental.
Mais pour une Ukraine sans frontières, 
Libérée de Yoska (Staline) et de Friz (Hitler).

L’histoire de la lutte ukrainienne pour l’indépendance a été falsifiée pendant l’Union soviétique. Bandera et d’autres nationalistes furent qualifiés d’ennemis. La vérité de la situation en Ukraine fut cachée par la propagande communiste. Moscou se proclama seul vainqueur de la guerre, ignorant le fait que la plupart des batailles sur le front oriental se déroulèrent sur le territoire ukrainien. Le régime communiste dissimula les crimes de guerre commis par l’Armée rouge en Ukraine, notamment la destruction du centre-ville de Kyiv, l’incendie d’églises ou les massacres de civils. Après la défaite de l’Allemagne nazie, l’Ukraine est devenue une partie de l’URSS et toute l’histoire de la nation a été réécrite. 

« Si la Russie soviétique était le seul vainqueur contre le nazisme, elle avait le droit de tout faire. Cette monopolisation de la victoire est également importante pour la Russie moderne, car elle l’aide à couvrir ses crimes. C’est une rhétorique de propagande simple, mais efficace : si nous sommes anti-nazis, tous ceux qui sont contre nous sont des nazis », déclare Volodymyr Viatrovytch

Le territoire russe était loin d’être aussi touché que l’Ukraine pendant la Deuxième Guerre mondiale. Nous, les Ukrainiens, l’avons gardé dans notre mémoire collective comme le traumatisme le plus important de notre nation. C’était le plus grand traumatisme jusqu’à ce que la Russie moderne envahisse notre terre en 2014 et commence une guerre à grande échelle en 2022, en utilisant la même méthodologie de mensonges, de crimes, d’atrocités et de mépris total pour les vies humaines et la dignité. 

Auteur : Anastasiia Marouchevska
Expert : l’historien Volodymyr Viatrovytch