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Comment la guerre totale a affecté les affaires menées par d’anciens combattants en Ukraine : deux histoires

Février 2022 a changé le destin de nombreux Ukrainiens. Parmi eux, des vétérans de l’opération antiterroriste (l’une des étapes de la lutte contre l’agression russe en Ukraine avant 2022). Entre leur service militaire et le début de l’invasion à grande échelle, de nombreux vétérans ont créé et développé leurs entreprises. Néanmoins, l’agression russe les a fait reprendre les armes. Nous avons parlé avec un ancien combattant et un volontaire pour savoir ce qu’il est arrivé à leur entreprise et s’ils prévoient de la développer à l’avenir.

« Notre atelier a survécu à l’occupation, mais a été brûlé par un missile »

Jusqu’en février 2022, le vétéran Dmytro Motsak et son ami Andrii Bihlenko développaient l’entreprise dans la région de Kherson. Les partenaires ont entamé la production de tomates séchées au soleil et ont créé une entreprise avec un nom approprié – Tomates ukrainiennes séchées au soleil.

Dmytro Motsak en 2019.
Photo: Alona Vladyko / Delo.UA

« La plupart de nos ventes ont été réalisées sur Instagram. Nous avons réussi à promouvoir la page sur ce réseau social. Nous avions également plusieurs clients parmi les hôtels, les restaurants, les cafés (HoReCa), et nous leur fournissions nos produits. En outre, nous avons essayé de collaborer avec des chaînes de supermarchés. Par exemple, nous avons eu des négociations avec Silpo (l’une des plus grandes chaînes de supermarchés en Ukraine), mais ils avaient besoin de très gros volumes de produits. Malheureusement, nous n’étions pas en mesure de les fournir, et l’accord n’a pas été signé », explique Dmytro à propos du développement de son entreprise jusqu’en février 2022.

Pots avec des tomates séchées au soleil.
Photo: Alona Vladyko / Delo.UA

L’attaque de la Russie a complètement changé les affaires et le destin des partenaires. Dmytro s’est enrôlé dans les Forces armées de l’Ukraine. Andrii a été contraint de quitter la région de Kherson au début de la guerre.

« Le 24 février, dans la matinée, les Russes ont commencé à bombarder la région de Kherson. J’étais à Kyiv à ce moment-là, et Andrii était à Kherson, il gérait la production de tomates. L’ennemi avançait très vite, et mon partenaire et sa famille ont décidé de quitter Kherson tant qu’il y avait encore une chance. Nous n’avons pas eu le temps de déménager l’équipement de l’atelier : il était sis à Tchornobaїvka, qui était sous le feu de tous les côtés. »

« Nous n’avons pas eu le temps de déménager l’équipement de l’atelier : il était sis à Tchornobaїvka, qui était sous le feu de tous les côtés. »

Andrii et sa famille se sont rendus à Kiliia, la ville dans la région d’Odessa. Là-bas, il tente de restaurer la production de tomates séchées au soleil. L’entreprise a dû être reconstruite à partir de zéro car les équipements avaient été brûlés à Kherson. À la fin du mois de janvier 2023, Andrii a commencé à vendre des tomates séchées au soleil, cette fois-ci – en provenance de Kiliia.

« Il y a eu une sorte de paradoxe. Après la désoccupation, nous sommes entrés dans notre atelier. Étonnamment, il n’a pas été pillé. Nous avons décidé d’emmener l’équipement à Kherson, puis à Kiliia. Mais deux jours plus tard, un missile russe a frappé l’entrepôt où était stocké le matériel et tout a été brûlé. L’atelier a survécu à l’occupation, mais pas à un tir de missile. » 

Dmytro lui-même sert actuellement dans les Forces armées. Il s’est engagé  dans l’armée de son bon gré le premier jour.

Photo: Page Facebook de Dmytro Motsak

« Je me souviens que le matin du 24 février, mon ami m’a appelé pour me dire que la guerre avait commencé. J’ai pris le parti de me joindre aux Forces armées car j’ai déjà eu de l’expérience du service militaire en 2014. Mes positions ont été alors près de Marioupol. »

« Je savais que n’importe quel jour pouvait être mon dernier, alors le 24 février, j’ai pris un bain, bu mon thé et appelé mon psychothérapeute pour lui dire au revoir. Ce n’est qu’après cela que je suis allé au commissariat militaire. »

Pendant 11 mois de guerre à grande échelle, Dmytro est passé par tous les points chauds des régions de Donetsk, de Louhansk et de Kharkiv. Il a également été aux abords de Bakhmout et d’Izioum.

« La pire chose que j’ai vue était dans la région de Louhansk. La-bas, se déroulent des combats très intenses. Un véritable massacre a lieu près de Bakhmout. Beaucoup de nos gens sont morts là-bas. L’horreur qui s’est produite à Izioum ne peut être comparée qu’à celle de Marioupol. Si vous me demandez ce que je pense de cette guerre et ce qui s’est passé en 2014, je dirai qu’il y a neuf ans, je n’avais pas ressenti un dixième de ce que je ressens aujourd’hui. »

Photo: Page Facebook de Dmytro Motsak

À la fin de la guerre, le militaire va retourner à ses affaires.

« Nous avons un créneau très intéressant et un produit inhabituel pour le marché ukrainien. Vous n’avez pas besoin d’aller en Italie pour déguster les tomates séchées au soleil, vous pouvez les commander en Ukraine sur Instagram. Et j’espère qu’après la guerre les gens pourront acheter nos produits dans les supermarchés. »

« Rien d’inhabituel. Toutes les mêmes situations, mais de plus grande envergure »

Avant la guerre à grande échelle, le volontaire et secouriste Maksym Mostovyi apprenait aux Ukrainiens à sauver des vies et à dispenser les premiers soins. Pour ce faire, il a fondé avec ses amis le centre de formation UNIT. En trois premières années d’existence du centre, les instructeurs d’UNIT ont enseigné les premiers secours aux 28.000 d’Ukrainiens. En 2022, ce chiffre a augmenté plusieurs fois.

Maksym Mostovyi en 2018.
Photo: Alona Vladyko / Delo.UA

« J’ai commencé à faire du volontariat pendant la Révolution de la Dignité. Je me souviens qu’un jour, les stocks de Maïdan ont brûlé et qu’il y a eu une demande de les réapprovisionner en nourriture et autres produits de première nécessité. Je me suis joint à ceux qui ont répondu à cette demande, et après le travail, je suis allé chercher ce dont on avait besoin. Après cela, je faisais de nombreux dons et j’envoyais les équipements sur le front. Nous pensions alors que la guerre se terminerait rapidement et que nous allions vaincre », se souvient Maksym.

Cependant, la guerre ne s’est pas terminée en 2014, et plus tard Maksym a créé un centre de soutien sous marque SIERRA. Dans le cadre de ce projet, Maksym et l’équipe aident à rassembler des trousses de premiers soins, de traumatologie, des sacs et des sacs à dos fabriqués en utilisant des composants fiables et éprouvés. En outre, l’équipe de SIERRA est engagée au développement d’équipements et à l’adaptation de certaines solutions à des réalités ukrainiennes.

Photo: Alona Vladyko / Delo.UA

« C’est une entreprise à vocation sociale. Jusqu’en février 2022, nos principaux clients étaient des groupes organisés de civils qui se préparaient à la guerre, ainsi que ceux qui prévoyaient d’adhérer à la défense territoriale, et des magasins qui voulaient élargir leur assortiment. Le troisième grand groupe était constitué de personnes occasionnelles ayant besoin de trousses de premiers soins pour elles-mêmes ou pour leurs proches. »

Aujourd’hui, Maksym, ainsi que d’autres membres des équipes UNIT et SIERRA, font partie des Hospitaliers, une organisation volontaire d’ambulanciers paramédicaux, qui a été fondée par Yana Zinkevych au début des hostilités en Ukraine en 2014. Il s’agit d’un bataillon de volontaires, donc il ne dispose d’aucun financement.

« Le bataillon nous fournit les équipements principaux pour le travail, mais pour ce qui est des équipements coûteux, nous devons toujours les procurer nous-mêmes. Par exemple, un appareil de vision nocturne. Comme le bataillon est volontaire, il a constamment besoin d’aide. C’est pourquoi nous collectons régulièrement des fonds à des fins diverses. »

Photo issue des archives personnelles

Donc, Maksym et ses amis envisagent de relancer SIERRA dans un avenir proche. Cela est nécessaire pour pouvoir fournir à l’équipe des matériels et équipements spécifiques. Mais l’équipe UNIT prévoit de reprendre les séances de formation commerciales après la victoire.

« Pour moi, entre 2014 et 2022, il n’y a pas eu de phase de vie paisible. Nous n’avons pas cessé de faire du volontariat. Sauf pour de très rares moments où il était nécessaire de prendre soin de notre propre santé. »

« Maintenant, cela me semble tout à fait ordinaire : les demandes sont standards, et vous pouvez immédiatement comprendre si une personne est un professionnel et si ce qu’elle demande est destiné à elle. Le travail de campagne est devenu un peu plus compliqué et plus diversifié. Au reste, il n’y a rien d’inhabituel jusqu’à présent : toujours les mêmes situations, mais de plus grande envergure. Et le nombre de personnes est plus important », explique Maksym.