Quelle devrait être la réponse internationale au terrorisme nucléaire de la Russie ?
Rien qu’au cours des deux derniers mois, le monde a subi au moins deux chocs. D’abord, lorsque la Russie a violemment attaqué l’Ukraine, puis à nouveau, après que l’armée russe ait pris le contrôle des unités nucléaires ukrainiennes dans la zone d’exclusion de Tchornobyl et ait bombardé et saisi la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d’Ukraine et d’Europe. Les envahisseurs russes ont manifesté des signes évidents de terrorisme nucléaire et une extraordinaire imprudence lors de ces assauts, menaçant de répéter la pire catastrophe de l Histoire de L humanité.
À l’occasion du 36e anniversaire de la catastrophe de Tchornobyl, l’Ukraine attend une réponse internationale au terrorisme nucléaire russe. La menace d’un nouveau Fukushima ou d’un nouveau Tchornobyl n’a jamais été aussi réelle qu’au cours de ces 62 jours, car toutes les centrales nucléaires ukrainiennes, comme toute autre unité nucléaire ailleurs, n’ont pas été conçues pour de telles situations et sont vulnérables aux armes de guerre. Le dernier acte de crime de guerre a été commis par la Russie le 25 avril, lorsque deux missiles de croisière russes ont survolé la centrale nucléaire de Khmelnytskyi. Une semaine auparavant, le 16 avril, Energoatom a enregistré trois missiles de croisière russes ayant tirés en direction de la ville de Mykolaiv passant au dessus de sud du site de la centrale nucléaire ukrainienne.
Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, l’UE et les dirigeants occidentaux sont de plus en plus sollicités pour couper les flux de revenus vitaux de l agresseur qui proviennent du secteur énergétique russe, en particulier les exportations de combustibles fossiles. Alors que certains pays avaient fait des déclarations vraiment audacieuses pour couper tous les liens avec la Russie et mettre fin à tout type de coopération, les multiples séries de sanctions officielles imposées à la Russie par les États-Unis et l’UE semblent être moins importantes que prévues.
Dans les cinq paquets précédents de sanctions, l’UE a soutenu l interdiction du charbon, imposé des sanctions à plus de 7 000 personnes physiques et morales russes et retiré un certain nombre de banque russes de Swift. Alors que les États occidentaux s inquiètent de l’impact de l’embargo sur le pétrole et le gaz sur leurs économies, le secteur de l énergie nucléaire soit résoudre un problème similaire. La dépendance du secteur vis-à-vis de la société russe d énergie atomique Rosatom et des sociétés à capitaux d’origine russe plus élevée. Dans le monde entier, l’industrie nucléaire dépend fortement des importations d’uranium russe, de l’approvisionnement en combustible VVER, de l’entretien et de la maintenance des centrales nucléaires et des projets de construction de nouvelles centrales.
Aujourd’hui, Rosatom regroupe 356 entreprises et est l’un des principaux acteurs du marché nucléaire mondial. Il se classe :
- n°1 pour la taille du portefeuille d’activités à l’étranger (36 unités de puissance),
- n°1 pour l’enrichissement de l’uranium,
- n°2 pour les réserves d’uranium et l’extraction d’uranium,
- n°3 pour la production de combustible nucléaire.
En réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, la Finlande a déjà interrompu le projet Hanhikivi-1, mais ni la Hongrie ni aucun autre État n’ont suivi cet exemple. Le gouvernement hongrois ne prévoit pas de suspendre le projet PAKS II, qui est financé par un prêt de l’État russe et a été attribué à Rosatom en 2014 sans appel d’offres. Ses autres partenaires, notamment les pays asiatiques, tentent de maintenir le statu quo et ne refusent pas les services russes. En outre, en 2020-2021, les gouvernements du Vietnam, de la Bolivie et de la Serbie ont rejoint la liste des partenaires de la Russie en signant des accords avec la société d’état pour construire des centres nationaux de sciences et de technologies.
Les industries énergétiques de l’UE et des États-Unis dépendent toutes deux de la Russie pour les importations d’uranium, qui sont essentielles pour alimenter leurs centrales nucléaires. La récente interdiction américaine des importations d’énergie russe ainsi que les sanctions de l’UE n’incluent pas l’uranium, même si, en 2020, 16 % du total des achats d’uranium aux États-Unis provenaient de Russie. De même, la part de la Russie dans l’approvisionnement en uranium de l’UE représentait 20 % la même année. Par ailleurs, 19 % des importations d’uranium de l’UE provenaient du Kazakhstan, dont le gouvernement entretient des liens étroits avec la Russie.
Le problème énergétique encore plus important de l’Europe repose sur les assemblages de combustible nucléaire russe. Dix-huit réacteurs nucléaires dans cinq pays de l’UE dépendent des fournitures de combustible russe. TVEL, le fabricant russe de combustible nucléaire, dont Rosatom est propriétaire, fournit le combustible nucléaire de la plupart des réacteurs VVER de Hongrie, de Slovaquie et de Bulgarie. Depuis le début de l’invasion, la Slovaquie et la Hongrie ont reçu plusieurs cargaisons de combustible nucléaire pour leurs centrales nucléaires par voie aérienne, mettant en danger les autres pays avec le risque de retombées radioactives en cas d’accident d’avion. La Bulgarie et la République tchèque n’ont pas annulé les accords d’approvisionnement de leurs centrales nucléaires, bien qu’elles disposent de réserves de combustible suffisantes pour assurer leur fonctionnement pendant les deux prochaines années.
à basse altitude le site de la centrale nucléaire de Zaporijia en direction de Zaporizhzhia, selon Energoatom.
Photo : Channel 24.
Rosatom possède de nombreuses unités de production et sociétés affiliées dans l’UE, assurant une coopération étroite avec plusieurs entreprises européennes par le biais d’importations de combustible, d’exportations de déchets d’uranium ou de la construction de nouveaux réacteurs. L’ONG allemande de défense de l’environnement et des droits de l’homme Urgewald a révélé les principales entreprises européennes étroitement liées à la Russie, notamment Orano, un géant français du nucléaire, la société tchèque ŠKODA JS, la société française Framatome, EDF, la société allemande Siemens Energy et plusieurs autres. Siemens Energy, ainsi que Framatome, fournissent des unités d’instrumentation et de contrôle aux centrales nucléaires de Rosatom. La société a cessé toute nouvelle activité en Russie, mais les projets existants ne sont pas concernés par les sanctions de l’UE. Une liste complète des entreprises coopérant avec Rosatom peut être consultée sur le site Defuel Russia’s War Machine.
En mars, la coalition de transition énergétique ukrainienne, une alliance d’organisations ukrainiennes de défense de l’environnement et du climat, a envoyé un appel au président Joe Biden, à la présidente de la Commission européenne Ursula von des Leyen et aux gouvernements nationaux européens pour qu’ils cessent d’importer de l’uranium russe et arrêtent toute forme de coopération avec Rosatom. Aux États-Unis, le Service d’information et de ressources nucléaires (NIRS) s’est joint à l’appel ukrainien en faveur de sanctions contre l’industrie nucléaire russe et a attiré l’attention des médias sur le sujet.
Alors que les pays civilisés cherchent des moyens d’intensifier les sanctions contre la Russie et de réduire leur propre dépendance à l’égard des approvisionnements énergétiques russes en réponse à l’invasion russe de l’Ukraine, des mesures plus décisives sont également nécessaires dans le secteur nucléaire. En particulier
- Annuler toutes les co-entreprises avec Rosatom et toutes ses filiales ;
- Suspendre tous les représentants russes de l’AIEA, des associations industrielles et des projets de recherche ;
- Résilier les contrats de fourniture de combustible nucléaire avec TVEL, une filiale de Rosatom ;
- Imposer des sanctions personnelles contre la direction de Rosatom et de ses filiales ;
- Introduire un embargo sur les importations d’uranium en provenance de Russie et du Kazakhstan ;
- Geler les actifs étrangers de Rosatom et de ses filiales.
Il est essentiel de souligner que Rosatom est chargé de maintenir l’arsenal nucléaire russe – les armes mêmes que Vladimir Poutine a utilisées comme menace pour dissuader l’OTAN tout en déclenchant la guerre d’agression en Ukraine. Pendant l’invasion, Rosatom a joué un rôle important dans les attaques ciblées de la Russie contre les centrales nucléaires de Tchornobyl et de Zaporijia, s’engageant ainsi directement dans le terrorisme nucléaire.
Il convient de noter que les menaces imposées par la guerre aux unités nucléaires ukrainiennes et la participation du personnel de Rosatom à la prise de contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia ont suscité un tollé international. En particulier, Greenpeace International a envoyé une lettre à Rafael Mariano Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), lui demandant de suspendre immédiatement son directeur général adjoint, Mikhail Chudakov, de toutes ses fonctions officielles en raison de son ancien rôle exécutif à Rosatom.
Des sanctions contre l’industrie nucléaire russe sont nécessaires et réalisables, car ses fournitures et services ne sont pas indispensables. Sur les treize pays de l’UE qui exploitent des centrales nucléaires, seuls trois — la Bulgarie, la Slovaquie et la Hongrie — utilisent exclusivement du combustible russe pour toute leur production d’énergie nucléaire. Deux autres pays — la Finlande et la République tchèque — ont réussi à diversifier leurs approvisionnements en combustible en utilisant du combustible produit par Westinghouse. La plupart des réacteurs de type VVER en service dans l’UE ont été construits à l’époque soviétique et ont déjà atteint la fin de leur durée de vie opérationnelle. Ils devraient être fermés et remplacés au cours de la prochaine décennie afin d’éviter les risques accrus en matière de sûreté nucléaire liés aux défauts de conception des anciennes unités.
Aujourd’hui, l’implication de Rosatom dans le programme d’armes nucléaires de la Russie et la menace de terrorisme nucléaire brandie par Poutine rendent impératif pour toutes entreprises et tous les gouvernements de rompre immédiatement tout lien avec l’entreprise nucléaire publique russe.
Oksana Ananieva, coordinatrice du programme d’énergie durable, ONG Ecoaction
Oleh Savilytskyi, expert principal, équipe de soutien aux réformes au ministère de la protection de l’environnement et des ressources naturelles d’Ukraine et des ressources naturelles d’Ukraine
En savoir plus sur ce qui s’est passé avec les centrales nucléaires ukrainiennes :
1. Informations générales et mise à jour sur Tchornobyl
2. Une mise à jour sur la centrale nucléaire de Zaporijia, les conséquences d’une catastrophe nucléaire.